Un autre monde : « Nous sommes Philippe Lemesle »
Publié le parOn peut bien sûr voir dans ce dernier opus de Stéphane Brizé l’achèvement d’une trilogie cinématographique antilibérale dénonçant les modes de gouvernance actuels qui ont tendance à privilégier l’intérêt des actionnaires au détriment des salariés. Il y a bien évidemment de cela comme le confirment également les engagements politiques du cinéaste. Pourtant, chez Parti Pris, nous avons perçu autre chose dans ce film…
Managers, chefs de projet, cadres, salariés responsables ou en charge de tel ou tel sujet à porter pour nos pairs vers ou pour une direction, … nous sommes Philippe Lemesle !
Le conflit de loyauté
Ou pourquoi nous reconnaissons-nous en lui ?
Qui parmi nous n’a pas fait l’amère expérience de la différence entre la bonne intention et l’action déceptive ?
Qui n’a jamais transgressé une règle dans l’espoir qu’on lui pardonne, tant le dénouement que cela occasionne lui semble préférable voire salutaire ?
Qui n’a jamais menti ou simplement modifié la réalité, consciemment ou non, ne serait-ce que pour tenter de forcer le destin ?
Qui ?… Personne… et en particulier pas ceux qui ont occupé une des fonctions citées dans les premières lignes de cet article.
Dès les premières minutes du film, le processus d’identification est en marche. Nous nous retrouvons face à nous-mêmes, face aux dilemmes, aux doutes profonds sur « la » meilleure attitude à adopter dans telle ou telle situation qui ont jalonnés et continuent de jalonner nos vies.
Entre marteau et enclume
Ou pourquoi ressentons-nous sa douleur ?
Il n’est pas difficile de le constater, tout le monde a un avis sur le management. Que l’on soit manager ou managé (Philippe est les deux !), on peut prétendre avoir une expérience du management. Et là commence le temps de l’empathie. Nous partageons ainsi les angoisses et finalement la souffrance de ce personnage qui n’est ni plus ni moins qu’un dirigeant.
Ce film a donc le courage de régler son compte à une vision manichéenne trop souvent croisée du méchant manager dépourvu de sentiments face au gentil salarié souvent montré comme la seule victime collatérale. On a beau tous savoir que cette vision est fausse, il est toujours utile de repréciser les évidences.
Nous sombrons dans cette mise en abîme qui nous oblige à reconsidérer notre vision parfois stéréotypée du manager en éprouvant du coup toutes les facettes des conséquences liées aux situations vécues par Philippe Lemesle. Nous nous retrouvons ainsi, morceau de métal à forger, entre le marteau et l’enclume.
Une question de courage
Ou que nous dit Philippe de nous-mêmes ?
Au final, qu’est-il reproché à Philippe et donc en creux à nous-mêmes ? Autrement dit, quelle image de nous-mêmes nous renvoie-t-il ?
Celle d’un manager qui « manquerait de courage managérial », d’un courage indissociable de sa fonction, automatique, unilatérale, rigide, qui n’autorise aucune échappatoire ou négociation.
Ironie du sort, Philippe démontre un courage tout autre, un courage en accord avec ses valeurs, ses convictions, un courage qui lui permet de rester en accord avec lui-même.
Au-delà d’être un film qui parle de management, « Un autre monde » pointe une dérive ; celle du risque de confusion entre l’action et la posture, entre l’être et le paraître ou encore entre soi et la fonction qu’un manager endosse.