Manager l’expertise : le grand paradoxe

Publié le par Jean-Marc Cleyet

Qui parmi nous n’a pas fait l’expérience de faire évoluer vers le management un collaborateur sur la foi de ses bons résultats opérationnels ou de son expertise technique et de constater quelques mois, parfois quelques années plus tard, qu’il avait ainsi « hérité » d’un manager médiocre et « perdu »… un excellent spécialiste ?

Nos clients, nos commanditaires d’une façon générale et l’ensemble de la profession des RH (dixit les enquêtes spontanées faites par Parti Pris à l’occasion des dernières conventions Top DRH à Deauville) admettent que les critères de technicité ne doivent définitivement plus présider aux évolutions managériales.

Et pourtant… Ces promotions managériales à la méritocratie perdurent souvent ou restent, tout au moins très tentantes, notamment faute d’une véritable filière de valorisation, de suivi et d’accompagnement des Experts.

Savoir (enfin) manager les experts !

En dépit de cela, beaucoup de filières dites d’« expertise » existent. Il s’agit de « garder les bons » sans pour autant faire du sujet « management », la voie unique de l’évolution de carrière.

Cette bonne initiative induit cependant des contraintes. On ne peut pas oublier qu’inventer le navire c’est inventer le naufrage, inventer le train c’est inventer le déraillement, inventer l’avion, c’est inventer le crash… Ces filières ont amené rapidement une autre question : nos managers opérationnels ont-ils été préparés et formés aux compétences et aux approches spécifiques qu’exige le management de ces collaborateurs si particuliers et si précieux qu’on appelle les Experts ?

Les trois pièges à éviter

Confondre « excellent collaborateur » et expert

Sachons déjà repérer et distinguer ceux qu’on appelle les vrais experts. Un expert n’est pas un collaborateur dont le travail fourni est souvent excellent et approfondi… Celui-là mérite toute notre attention et son engagement doit être salué et encouragé. Du reste, ce « collaborateur se montrera dans la plupart des cas sensible et réceptif à une évaluation juste et gratifiante de sa contribution.

L’expert quant à lui mesure essentiellement sa performance à l’aune du challenge gagné sur lui-même ou sur ses pairs. Il souhaite éventuellement être reconnu pour l’exclusivité de ses compétences techniques et les moyens qu’elles induisent selon lui en terme notamment d’autonomie dans la gestion de son périmètre.

Ne considérer que la destination et non l’itinéraire

On pensera assez spontanément à mentionner positivement l’appartenance visible et l’engagement d’un excellent collaborateur à une enseigne ou à un projet. On oubliera plus facilement de « benchmarker » la contribution d’un expert en commentant les étapes de son travail ou la méthode employée plutôt que le résultat (le fameux management du comment tant supérieur à celui du combien).

Dans le même ordre d’idée, on ne valorisera véritablement le travail de l’expert qu’en le débriefant sur le pourquoi, un peu moins le comment et très peu le quoi. Force est de constater qu’on a tendance dans la plupart des cas (excellent collaborateur) à considérer le quoi (résultat), un peu moins la méthode (comment) et rarement le pourquoi (sens).

Créer de la concurrence involontaire entre les managers et leurs collaborateurs experts

Avons-nous véritablement été assez clairs avec les managers en leur précisant que la bataille de la crédibilité managériale ne se gagnerait pas sur les connaissances techniques ou inhérentes au métier mais bel et bien sur la qualité du rapport manager/collaborateur et sur la capacité à savoir gérer les différences au sein des équipes qu’ils encadrent.

Manager des experts, c’est avant tout se mettre avec eux dans une logique collaborative constructive. C’est donc par là même renoncer au pouvoir technique pour mieux exercer l’art de l’arbitrage, s’obligeant ainsi à l’écoute et à la considération.

Se former au management de l’expertise

Ces quelques exemples le montrent : manager des experts oblige presque à désapprendre certaines pratiques conventionnelles. La plupart des formations au management ont recours au raisonnement matriciel, à l’édification de méthodes, à la recherche de démonstrations simples et claires garantissant une approche cohérente des sujets.

Le management des experts sort de cette logique cartésienne et contre attente induit une approche plus humaine, plus participative, plus intuitive aussi et parfois peu compatible avec les impératifs économiques dictées aux organisations.

En formant nos managers à cette approche différenciée et complémentaire, nous gagnerons des experts plus engagés, plus motivés grâce à une action managériale plus au fait de son rôle et des objectifs de son action.